Anaïs BERTRAND
Le XXème siècle en Champagne est indéniablement une période de structuration de la filière viti-vinicole, durant laquelle nous assistons à un rapprochement continu entre vignerons et négociants. Cette contribution propose d’étudier comment s’est opéré la réconciliation entre ceux-ci, des émeutes de 1911 jusqu’à la constitution d’un projet collectif permettant le classement au Patrimoine mondial de l’UNESCO des Coteaux et des Caves et Maisons de Champagne ?
Au premier chef, ces relations s’incarnent dans des associations et structures fédératrices, dont la Commission de propagande et de défense des vins de Champagne, en 1931, puis le CIVC furent des éléments fondateurs. Il ne s’agira toutefois pas d’analyser l’évolution des rapports entre vignerons et négociants à travers le prisme unique de ces associations et de leur rôle, mais de proposer une approche originale, autour des thématiques du rapport à l’autre, de l’interdépendance et des réseaux de sociabilité.
En 1916, Bertrand de Mun, mobilisé, écrit à propos des vignerons : « Ces gens-là ne savent pas mesurer l’argent. Au-delà d’une certaine somme ils mettent tout sur le même pied. […] en ne leur donnant même pas un million pour les aider, nous sommes des criminels1 ». Si elle est anecdotique, cette charge contre les vignerons souligne une dichotomie économique, sociale et culturelle. La question de l’altérité sera appréhendée à travers plusieurs thématiques spécifiques, employant des sources variées. Une analyse de discours dans les correspondances privées, entre négociants et vignerons permettra de déterminer l’évolution des représentations des uns et des autres, au gré des crises et des périodes de prospérité. Elle devra être complétée par une étude de la convergence, ou non, des réseaux de sociabilité des vignerons et des négociants. Cette question sera traitée par l’étude de l’évolution des différents statuts sociaux et par l’exemple significatif de l’Ordre des Coteaux de Champagne.
Enfin, la problématique du rapport à l’autre s’incarne dans la question de l’interdépendance économique. A l’aube du XXème siècle, le vigneron champenois dépend des négociants, pour les achats ou même les prêts consentis par les caisses régionales. En s’appuyant sur les archives des organismes professionnels et des revues spécialisées, il s’agira d’établir si la mutation des pratiques et l’évolution de l’identité des différents acteurs de la filière ont permis une forme d’émancipation et un rapprochement paradoxal entre les uns et les autres.