Benoît Verdier
Marianne Cailloux
Après la seconde guerre mondiale, les normes européennes se sont intensifiées et « rigidifient » le système à tous les niveaux. Le vin est le produit agricole le plus réglementé en France mais également dans l’Union européenne. L’intervention de différentes sources réglementaires dans la production du champagne engendre régulièrement des difficultés quant aux règles à appliquer au quotidien. Ces règles sont souvent venues contrarier la politique de l’Interprofession Champenoise (Diart 2007).
Au delà des actions menées auprès des instances et des acteurs européens, le Syndicat Général des Vignerons champenois (SGV) traduit pour ses adhérents l’ensemble de ces normes et règles qui interviennent dans la régulation de leur activité. Notre communication[1] s’intéresse donc particulièrement à ce discours spécifique de médiation des normes européennes par et pour les acteurs de la filière viti-vinicole : les vignerons. Il s’agit d’interroger le contenu, les modalités et les traductions de cette parole proposée par les instances du groupe professionnel auprès de ses membres à travers son magazine syndical (produit et réalisé en interne depuis ses origines en 1909) La Champagne Viticole.
Cette étude se penche sur les modalités de l’inscription de ces normes dans l’espace public syndical, celles du débat public en examinant les acteurs et les rhétoriques en œuvre. Se pose ainsi la question de comment une créativité est mise en oeuvre par la gouvernance du SGV pour faire passer un message à la fois politique et technique. Plus que de l’information, les discours médiatiques véhiculent des évaluations, des jugements, un cadrage de questions. Entre l’argumentation des désaccords politiques – action de lobby du SGV – et l’injonction à la mise en oeuvre des règles par ses membres, le discours produit par la gouvernance du SGV est très singulier, notamment quand on l’observe sur le temps long. L’iconographie et l’infographie proposée à travers l’utilisation de photographies, de schémas, de bandes dessinées, de publicités, permettent en particulier d’observer la construction d’une communication spécifique en termes d’acteurs situés, de manifestations événementielles et culturelles. En effet, alors que l’ensemble des règles et des normes professionnelles sont décidées à Bruxelles, les viticulteurs champenois se recentrent sur leur propre territoire en développant toute une communication autour du terroir (Verdier, 2013 ; Sevilla, Verdier, 2017). Au delà d’un discours finalement en tension constante entre l’échelle européenne et des acteurs variés et d’importance différenciée, on questionnera également comment le SGV via La Champagne Viticole transmet et transforme les directives européennes pour une valorisation économique et des enjeux politiques spécifiques.
La méthodologie retenue consiste en un dépouillement
manuel systématique des numéros papier du magazine de 1960 à 2012, à l’intérieur
de toutes les rubriques en comptant l’édito et les cahiers techniques
professionnels. Elle a permis la construction d’un corpus relativement
exhaustif. Dans une visée pragmatique (Acklin
muji & al, 2007) et à
travers le modèle théorique du fonctionnement social des médias développé par
E. Véron (1985), ce travail analyse la position énonciative du SGV en tant que
groupe social qui légitime ses actions et contrôle les membres du groupe
professionnel par son unique média, le magazine syndical.
[1] Ce travail s’inscrit dans un programme de recherche intitulé Univigne, financé par la région Grand Est (2017-2019), composé d’une équipe pluridisciplinaire (sociologie, histoire, sciences de l’information et de la communication, ethnologie, économie) qui a pour objectif d’analyser l’évolution du vigneron Champenois de 1960 à nos jours.