Louis César NDIONE
Aurélie Ringeval-Deluze
Différentes marques ont modifié leur statut voire l’économie de leurs produits (Mallard et Cochoy, 2015 : 254) à travers un changement de packaging. En effet, en marketing, le packaging fait office de médiation entre le consommateur et le produit lui-même. Il offre une illustration du rôle des choses qui « font agir » dans l’univers de consommation et « font choisir » en particulier le consommateur (Mallard et Cochoy, 2015 : 254). Le packaging fait faire et l’emballage fait vendre, il oriente le sens de l’action des consommateurs. Il change aussi l’entreprise qui peut désormais grâce à lui, cultiver l’identité de sa marque, mettre en avant la qualité et l’authenticité de ses produits, afficher la protection des consommateurs.
Traditionnellement « marketing et industrie du vin n’ont pas cohabité spontanément » (Barbat et Mora, 2010 : 22). Pour les marques de champagne de vignerons, en particulier, l’AOC a longtemps représenté les garanties qu’offrent ces terroirs. De même, l’omniprésence d’un énonciateur collectif (syndicat des vignerons), présent dans le discours opérationnel et institutionnel de l’industrie du champagne a souvent freiné certains producteurs de champagne à « pleinement assumer leurs fonctions énonciatives et narratives » (Bobrie, 2010 : 74). La baisse des volumes de ventes oblige néanmoins ces producteurs à stimuler la demande. L’ambition de cette recherche est justement de montrer que l’emballage peut éveiller des désirs et des dispositifs de captation des consommateurs. Elle incite à repenser le récit du packaging des marques des vignerons afin « de faciliter et optimiser les activités cognitives des consommateurs désireux de choisir du [champagne] au sein d’une offre désormais concurrentielle et mondialisée » (Bobrie, 2010 : 76).
Souvent, « la plupart des recherches se sont centrées sur la question de la réception et ont étudié les caractéristiques du consommateur ou les conditions d’expression qui peuvent expliquer l’acception ou le rejet d’un design innovant, sans s’intéresser véritablement aux caractéristiques intrinsèques de ce dernier » (Celhay et al. 2017 : 3). Cette recherche aborde le packaging à partir de la perspective de l’acteur-réseau. Dans le marché du champagne comme pour d’autres produits, le packaging n’est pas la seule dimension qui fait choisir un produit. D’autres éléments comme l’histoire, le patrimoine, le goût entrent en jeu (Rokka, 2017). Le pari sur le packaging réside sur le fait qu’il peut changer et orienter le consommateur à partir seulement de ses dimensions abstraites.
Habituellement, les recherches sur l’acteur-réseau ont souvent porté sur les « professionnels du marché » (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000). Pour notre part, nous avons interrogé différents acteurs afin de saisir les pratiques en termes de culture de packaging mais aussi des « éléments de compréhension décisifs de cette dynamique d’aller-retour du produit-chose entre l’innovation et la consommation » (Mallard et Cochoy, 2015 : 249). Aussi cette recherche considère les codes et design graphique du packaging des vignerons. Elle s’interroge sur ces codes et pratiques. Elle se demande aussi pourquoi il est difficile d’innover dans un secteur traditionnel comme le champagne ? D’où viennent ces résistances ? Quelles stratégies d’innovation-packaging font montre les producteurs qui sortent des sentiers battus ?
Cette recherche se base sur une approche sémiotique (Celhay et al. 2017) sur la base de 100 packaging de champagnes de vignerons. Les résultats émergents ont été exploités et mis en perspective selon la méthode du carré sémiotique.Ces résultats font ressortir quatre catégories de packaging : les marques traditionnelles (leur packaging met en avant des figures d’archétypes/d’authenticité), les marques patrimoniales (le packaging montre la prédominance de la noblesse du produit) les marques transitionnelles (leur packaging garde des invariants par rapport au noyau dur que représente les deux premières catégories, mais tend vers évolution harmonieuse) et les marques disruptives (leur packaging fait preuve d’originalité et s’inscrit dans une réelle stratégie de marque). Notre recherche stipule l’innovation-packaging reste problématique. Plusieurs difficultés ressortent des entretiens dont : la difficulté des producteurs de raconter leur champagne et de se différencier, leur résistance par rapport au marché, la reproduction des effets de tendance et enfin, la non prise en compte de l’expérience de consommation et des consommateurs. Au total, les marques qui innovent mobilisent principalement 3 stratégies disruptives qui font référence à une réelle vision du producteur à travers : 1) passage du concret à l’abstrait 2) la prise en compte des mutations du marché 3) la promotion d’une interprétation stylisée du packaging en promouvant de nouveaux modes de présence, de scénarisation, d’évocation » du champagne.